SERMON DE SAINT AUGUSTIN SUR LE PSAUME 37
Ton désir, c’est ta prière.
Le gémissement de mon cœur me faisait rugir . Il y a un gémissement caché que l’on n’entend pas ; cependant, si le cœur est obsédé par un désir si fort que la blessure de l’homme intérieur s’exprime par un cri qui la découvre, on en cherche la cause, et l’on se dit en soi-même : Peut-être est-ce là ce qui le fait gémir, et peut-être qu’on lui a fait telle chose ? Qui peut comprendre, sinon celui dont les yeux et les oreilles sont atteints par ce gémissement ? Le psalmiste dit : Le gémissement de mon cœur me faisait rugir , parce que, lorsque les hommes entendent gémir, c’est généralement le gémissement de la chair qu’ils entendent; ils n’entendent pas celui qui gémit dans son cœur.
Et qui connaissait la cause de son rugissement ? Il ajoute : Tout mon désir est devant toi . Non pas devant les hommes, qui ne peuvent pas voir le cœur, tandis que si tout ton désir est devant le Père, lui qui voit l’invisible te le revaudra .
Car ton désir, c’est ta prière ; si le désir est continuel, la prière est continuelle. Ce n’est pas pour rien que l’Apôtre a dit : Priez sans relâche . Peut-il le dire parce que, sans relâche, nous fléchissons le genou, nous prosternons notre corps, ou nous élevons les mains ? Si nous disons que c’est là notre prière, je ne crois pas que nous puissions le faire sans relâche.
Il y a une autre prière, intérieure, qui est sans relâche c’est le désir. Que tu te livres à n’importe quelle autre occupation, si tu désires ce loisir du sabbat, tu ne cesses pas de prier. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer.
Ton désir est continuel ? Alors ton cri est continuel. Tu ne te tairas que si tu cesses d’aimer. Quels sont ceux qui se sont tus ? Ceux dont il est dit : À cause de l’ampleur du mal, la charité de beaucoup se refroidira .
La charité qui se refroidit, c’est le cœur qui se tait ; la charité qui brûle, c’est le cœur qui crie. Si la charité dure toujours , tu cries toujours ; si tu cries toujours, tu désires toujours ; si tu désires, c’est au repos que tu penses.
Tout mon désir est devant toi . Que se passe-t-il ? Si ton désir est devant lui, mais non pas le gémissement ? D’où cela peut-il venir, quand le désir lui-même s’exprime par le gémissement ?
C’est pourquoi le psaume continue : Et mon gémissement ne t’échappe pas . Il ne t’échappe pas, alors qu’il échappe à la plupart des hommes. Il semble parfois que l’humble serviteur de Dieu dise : Et mon gémissement ne t’échappe pas . Il semble aussi parfois que le serviteur de Dieu se mette à rire : est-ce que ce désir est mort dans son cœur ? Non, s’il y a désir, il y a gémissement ; il ne parvient pas toujours aux oreilles des hommes, mais il ne cesse jamais de frapper les oreilles de Dieu.
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– 354 : naissance à Tagaste dans la province romaine de Numidie (aujourd’hui Souk-Arhas en Algérie), d’une mère chrétienne et d’un père païen.
– Son éducation est entièrement tournée vers l’étude et la foi chrétienne. À 16 ans, il part à Carthage pour y parfaire son éducation. Là, il délaisse la religion pour s’adonner à l’étude de la rhétorique.
– Il n’a pas 20 ans lorsqu’il prend une concubine avec laquelle il a un fils.
– 375 : il enseigne la rhétorique et l’éloquence à Carthage, puis emmène sa famille à Rome. N’y trouvant pas l’emploi qu’il avait espéré, il accepte d’aller enseigner à Milan, où il subit l’influence de l’éloquent évêque de la ville, saint Ambroise. C’est le début de sa conversion, qu’il marque en renvoyant sa maîtresse et son fils. Mais il prend vite une nouvelle femme.
– Il est soudainement frappé par la grâce dans un jardin de Milan, alors qu’il explique à un de ses élèves la lutte intérieure qui le déchire. Il abandonne alors le monde et se retire dans un monastère.
– 387 : Il est baptisé par saint Ambroise.
– 388 : Il retourne en Afrique du Nord, où il devient le défenseur de l’orthodoxie chrétienne, écrivant d’innombrables lettres et sermons contre les hérétiques de son temps et de nombreux traités de philosophie et de métaphysique.
– 395 : Augustin est consacré évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba en Algérie), où il passera le reste de sa vie, un règlement ecclésiastique interdisant le transfert des évêques. Il installe dans sa propre maison une petite communauté fraternelle dont l’exemple est à l’origine de la plupart des règles monastiques.
– 24 août 410 : sac de Rome par les Goths. Augustin va se servir de cet épisode pour commencer à expliquer la signification du christianisme dans l’histoire et celle de l’histoire pour le christianisme « afin de justifier les voies de la Providence, en ce qui concerne la destruction de la grandeur romaine » (ce sera son oeuvre La Cité de Dieu).
– Il meurt, le 28 Août 430 à l’âge de 76 ans à Hippone assiégée par les Barbares.
Ses idées
– La pensée de saint Augustin est très marquée par le néo-platonisme : il ne voit aucune contradiction entre le christianisme et la philosophie de Platon. Il réconcilie le concept platonicien des « idées éternelles » avec le christianisme en considérant celles-ci comme partie intégrante du Dieu éternel.
– Il s’oppose cependant à la théorie cyclique de Platon. Pour Augustin, l’histoire est en mouvement, depuis un commencement vers une fin ; la considérer comme un processus cyclique, c’est nier le caractère unique de Jésus-Christ et la promesse de son évangile.
– Pour lui, le savoir est un moyen de rencontrer Dieu. L’étude de l’univers ne peut que conduire à une appréciation plus haute de la sagesse de Dieu.
– Il place la foi au-dessus de tout : il estime qu’elle prime même la connaissance. L’homme a le libre choix entre le bien et le mal, mais pour faire le juste choix, il a besoin de l’aide divine et d’une foi forte.
Postérité
Saint-Augustin eut une influence prépondérante dans la pensée chrétienne occidentale.
– C’est le théoricien de l’histoire du christianisme.
– Il est le père du latin ecclésiastique, outil unique de toute la culture philosophique du Moyen Âge et de la Renaissance.
– Il a posé les fondements de la culture chrétienne.
– Il a défini les bases de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, question qui ne cessera de tourmenter l’Église.
– Il a légué l’ambiguité sur la grâce, qui inspirera les réformateurs du XVIe siècle, Calvin et Luther, ainsi que les jansénistes du siècle suivant.
– Il inspire la longue tradition pédagogique qui donne au savoir le rôle d’éveil aux vérités de l’Éternelle Sagesse.